[Foto: El País,
Brasil, abril de 2015]
ENTREVISTA
«
La droite au Brésil est en plein essor »
Adriano Codato est
professeur de science politique à l'Université fédérale du Paraná (UFPR) et
chercheur au CNPq. Chercheur associé au Centre européen de sociologie et de
science politique de la Sorbonne (Paris-CESSP) , il coordonne l'Observatoire
des élites politiques et sociales au Brésil. Je l'ai
interrogé pour Mediapart sur la droitisation en cours au Brésil.
Pourriez-vous
expliquer au public français de Mediapart la droite brésilienne ? Quel est
son profil?
La droite au
Brésil est en plein essor. Cette expansion se déroule autour de trois domaines
qui se renforcent mutuellement, le social, le politique et l’idéologie. Il
existe un mouvement social de droite au Brésil, conservateur, autoritaire et
violent, dirigée par la haute classe moyenne dans les grandes villes, qui
s’oppose à la politique du Parti des Travailleurs et dénonce son problème le
plus visible: la corruption du gouvernement.
Il
y a, comme en Europe, une croissance politique et électorale des partis
de la droite. Cette croissance de la droite brésilienne ne profite pas aux
vieux partis qui ont soutenu les gouvernements militaires pendant le dernier
cycle dictatorial au Brésil (1960-1980). Ces vieux partis ont aujourd'hui
d'autres acronymes: DEM, Les Démocrates, PP, Parti Progressiste. Ils ont perdu
leur force politique au profit des micro-partis opportunistes et du nouveau
parti de droite, le PSD (Parti Social Démocrate) qui survit, paradoxalement,
grâce à son alliance avec le gouvernement du PT. En échange d'un soutien
parlementaire, plus formel, le PSD a remporté deux portefeuilles ministériels
avec des ressources budgétaires importantes. Tant les deux vieux partis de la
droite brésilienne que les nouveaux soutiennent un programme profondément conservateur
en termes de morale et de droit. En tête de cette offensive réactionnaire
se trouve le personnage, peut-être inconnu du public français, du député
pasteur-évangélique. Cette droite morale-comportementale est en train d'essayer
de révoquer au Brésil tous les droits obtenus par la civilisation occidentale
au XXe siècle: les droits des minorités, les droits
humains, le droit du travail, le droit pénal, la liberté de choix, etc. Le pire
est que cette variante de la droite brésilienne impose un ordre de jour
politique qui est de plus en plus assumé par tous les partis de la droite et
d’autres plus au moins progressistes au Congrès National. Sa stratégie est de
d’obtenir l’adhésion à ses idées, pour cela elle doit se battre sur plusieurs
fronts et de diverses façons pour imposer son code réactionnaire.
Il faut souligner
que le plus grand parti du Brésil, le PMDB, ensemble d’élus hétéroclites que
réunit la droite, le centre droit et le centre gauche, préside l’Assemblée
nationale. Son Président, Eduardo Cunha, est l'incarnation parfaite de ce
mouvement réactionnaire, il appartient au groupe des députés évangéliques. La
dernière variante est la droite idéologique, elle assume son idéologie
économique néolibérale. Cette droite est présente sur la scène politique
brésilienne dès les années 1990. En termes partisans, le PSDB, Parti de la
Social-démocratie de l’ancien Président de la République Fernando
Henrique Cardoso, est le parti qui soutient ces positions dans le
«débat public». Le débat public mérite des guillemets car au Brésil ce type du
débat sur les prescriptions économiques n’a pas vraiment d'espace public. Les
grands oligopoles privés de communication (la grande presse
« Folha », « ESTADAO », « VEJA », le réseau de TV
Globe, UOL, etc.) sont responsables de la fabrication et la diffusion d’un
discours hégémonique néolibéral. Ils sont dominants dans tous les moyens de
communication (journaux, radios, télévisions et sur l’Internet).
Quelle est la
motivation des organisations de droite à occuper aujourd’hui l’espace dans les
rues, dans les réseaux sociaux qui auparavant étaient occupés par les
organisations sociales, surtout par une militance de sensibilité de gauche?
Il existe deux
sources de mécontentement. Une est plus explicite et consciente, l'autre implicite
et peut-être inconsciente. La raison principale est selon eux la corruption des
dirigeants et des élus du PT. Je dis «du PT» parce que cette indignation est
très sélective. Ni les mouvements sociaux de la droite qui ont défilé contre le
gouvernement fédéral à trois occasions cette année (en mars, avril et
août), ni la grande presse brésilienne, ni les membres du pouvoir judiciaire ne
sont très intéressés à souligner que d'autres partis politiques sont impliqués
dans les schémas politiques de corruption que les membres de la direction du PT
sont prétendument accusés de coordonner, par exemple le Parti Progressiste (PP)
et le Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB). Les dénonciations
duparti rival, le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) du candidat
déchu Aécio Neves ont été minimisées, ignorées ou délibérément cachées dans les
manchettes des journaux. Toutefois, la corruption est le principal sujet de
préoccupation de la classe moyenne brésilienne (professions libérales, petites et
moyennes entreprises, hauts fonctionnaires, etc.), la base sociale de ces
nouveaux mouvements depuis toujours. Tant et si bien que cette même couche
sociale a été au cours des années 1980-1990, le terrain de chasse électoral
favoris du PT, lorsque le Parti des Travailleurs faisait de la
«moralisation de la politique» sa principale arme face à ses adversaires.
L'autre raison,
moins apparente et moins consciente, vient du fait que la classe moyenne
traditionnelle doit partager deux droits fondamentaux de la citoyenneté moderne
– le droit de vote et le droit de consommer. Aujourd’hui ces droits sont
garantis aux couches de la classe moyenne inférieure, aux travailleurs manuels
et à ceux qui vivaient auparavant en marge du capitalisme brésilien. Et cela leur
semble insupportable.
Quel est l'agenda
politique des groupes qui constituent cette nouvelle droite? Pourquoi certains
jeunes vont rejoindre cette droite réactionnaire, très proche du fascisme?
Il y a dans les
slogans de ces groupes en public, mais aussi dans les commentaires privés, ce
que je qualifierais un «racisme de classe». Le racisme de classe fonctionne
comme une mécanique de préjugés perverses. Alors que dans le racisme
traditionnel, le sentiment de supériorité est dirigé contre un groupe
ethnique («race») considéré comme inférieur, soit pour des raisons biologiques,
soit pour des raisons historiques, le racisme de classe est dirigé contre un
groupe défini par ses caractéristiques socio-économiques et il construit à son
propos toutes sortes de préjugés. Les «pauvres» (c’est-à-dire ceux qui ont
gravi l’échelle sociale pour devenir des consommateurs) sont ignorants parce
qu'ils méconnaissent les vraies informations que seule la classe moyenne
traditionnelle prétend avoir sur la politique, sur le fonctionnement de
l'économie, sur l’utilisation des impôts, etc. Ils sont irrationnels, parce que
les raisons qui motivent leur vote sont illégitimes pour les priorités établies
par cette classe moyenne violente et autoritaire. Et ils sont incompétents
parce que, après tout, ils sont pauvres. C’est dans ce contexte qu’il
faut comprendre l'aversion qu’ils ont de la Bourse Famille (son
«assistancialisme »), la haine des quotas raciaux (le sabotage de la
«méritocratie»), l'étonnement devant l’accès aux biens de consommation des
classes moyennes de ceux qui n’en avaient pas les moyens ("le
capitalisme" finalement ...). Ainsi, ce n’est pas un programme
conservateur, mais hautement réactionnaire contre la transformation de la
société brésilienne. Mais aussi hautement rétrograde pour rétablir, si
possible, l'ordre pré-PT.
Comment le PT et
la gauche réagissent-ils à cette nouvelle organisation de la droite et à la
propagation de la haine?
Le
PT semble surpris par toutes ces accusations et cherche à survivre en quelque
sorte, même en s’éloignant du gouvernement de Dilma Rousseff – un gouvernement
de coalition dirigé par le PT lui-même (1). L'arrestation des dirigeants du
Parti des travailleurs, la condamnation des anciens présidents du PT (José
Genoino et José Dirceu) et de ses deux trésoriers (Delúbio,Vaccari) ont surpris
et mis en colère une partie importante des militants et de la grande majorité
des sympathisants. En gros, je pense que nous pourrions utiliser une analogie
basée sur le modèle Kübler-Ross (2) des cinq étapes du deuil: le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l'acceptation. Le
déni, quand toute accusation contre le parti était considérée comme une
invention des ennemis ; la colère, contre la presse, la justice, la police
fédérale (tous les trois très partiaux et contre le PT); le marchandage avec la
réalité, finalement tous les partis politiques au Brésil se financent avec des
schémas légaux et illégaux; la dépression, avec ce sentiment d'impuissance
typique face à la situation créée par certains dirigeants du parti. Je ne sais
pas, cependant, si nous avons déjà atteint le stade de l'acceptation. La
catastrophe politique et économique du deuxième gouvernement de Dilma Rousseff
pourrait l’accélérer.
La grande presse
cite le Parti des travailleurs comme un parti mourant… Pourtant le nombre
d'adhésions au PT a continué à augmenter. Il est passé de 1 054 671 à
1 587 882 à l'échelle nationale, ce qui équivaut à une augmentation
de 50,3% entre 2005 et 2015. Le PT en tant que parti a-t-il encore des militants
ou est-il devenu un parti d’adhérents sans militants? Comment expliquer cette contradiction
politique ?
L’adhésion à Lula
da Silva est toujours très forte électoralement. La mémoire des résultats
positifs de son gouvernement est très présente dans les classes populaires.
Même si l'élection présidentielle de 2018 est encore loin, les enquêtes lui
donnent 30% des intentions de votes. Une étude du politologue Osvaldo Amaral a
montré que le PT reste attractif pour certains secteurs de la société civile et
a considérablement augmenté son nombre d’adhérents. En 2010, la dernière année
de gouvernement de Lula, 10 parmi 1000 électeurs étaient affiliés au parti PT.
L'augmentation du nombre des adhérents du Parti des Travailleurs est le
résultat de deux choses: d'abord, le Parti des Travailleurs a le contrôle du
pouvoir exécutif fédéral, cela lui a permis de distribuer davantage de postes
politiques; ensuite parce que le PT n’est plus un parti de niche idéologique
(comme en 1980), mais un parti qui a investi dans l'adhésion de masse comme un
moyen d'étendre sa présence sur tout le territoire. Peut-être le plus
impressionnant que le nombre d’adhérents est la présence du PT dans 97%
des 5 500 municipalités existantes au Brésil.
Par contre, la
face publique du parti, ses représentants au gouvernement et au parlement, est
profondément affaiblie à la suite des scandales de corruption et, il est
probable que le PT va souffrir sa plus grande défaite électorale lors des
élections municipales en 2016. Il faut souligner que les Brésiliens aujourd’hui
ne s’identifient pas subjectivement ou idéologiquement avec les partis
politiques. Les sondages d'opinion en 2015 montrent que 66% de la
population n'a de sympathie pour aucun parti, ce pourcentage est le plus
élevé depuis 1988, selon l’institut IBOPE. Le même sondage montre que parmi
ceux qui se reconnaissent une identité dans un parti, 14% sont favorables au PT
et 6% au PSDB Parti de la social-démocratie brésilienne. En avril 2013, pas
moins de 36% préféraient le PT.
(1) Le front de
coalition du gouvernement de Dilma Rousseff est formée par PT, PMDB,
PSD, PP, PR, PROS, PDT, PCdoB e PR
(2) Elisabeth
Kübler-Ross, née le 8 juillet 1926 à Zurich en Suisse et morte le 24 août 2004
aux États-Unis, est une psychiatre et une psychologue helvético-américaine,
pionnière de l'approche des « soins palliatifs » pour les personnes
en fin de vie.
Les plus grands
partis politiques au Brésil par nombre
d’adhérent selon le registre du Tribunal Supérieur Electoral :
1. Le Parti du
Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB) – Un vrai cocktail politique (centre
gauche, centre droite et droite)2.351.936 adhérents
2. Le Partie des
Travailleurs (PT)-Centre gauche et gauche (plusieurs tendances politiques) 1.587.882
adhérents
3. Le Parti
Progressiste (PP) : droite 1.414.630 adhérents
4. Le Parti de la
social-démocratie brésilienne (PSDB)- Avant considéré comme centre gauche,
social-démocraque, aujourd’hui il réunit aussi des élus du centre droit et de
la droite-1.350.11 adhérentes
5. Parti démocratique
travailliste- PDT Centre- Gauche -1.208.123 adhérents
6. Parti des
Travailleurs du Brasil- PTB – défini comme centriste et souverainiste 1.185.070
adhérents
7. Les Démocrates
(DEM)-Droite, conservatrice libérale-1.087.613 adhérents
8. Partis de la
République (PR) : Centre-Droit- 765.949 adhérents
9. Parti Socialiste
Brésilien (PSB) : Centre-gauche- 582.211 adhérents
10. Parti Populaire
Socialiste (PPS)-Ancien Parti Communiste converti aujourd’hui au Centre-droit- 464.785 adhérents
fonte: http://blogs.mediapart.fr/blog/marilza-de-melo-foucher/070915/la-droite-au-bresil-est-en-plein-essor
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